Article de D.B.
littérature
« L’éloge de l’apocalypse », un recueil de poèmes de Patryck Froissart
Certains enseignants en littérature peuvent dans leur goût pour les lettres être aussi animés par le souci de créer. Le chef d’établissement de l’École du Centre et ancien professeur de littérature française, Patryck Froissart, écrit des poèmes depuis toujours et a même, dans les années 70, publié dans quelques revues littéraires. L’une d’entre elles, Élan, lui a, une fois, attribué le premier prix des Poètes œuvrant pour la Paix dans le monde. Après une longue interruption qui ne l’a pas empêché de lire beaucoup de poésie, il s’est à nouveau plongé dans ses textes et s’est remis à écrire. En décembre, il sortait très discrètement un premier ouvrage à la couverture toute noire. La tristesse de son premier recueil L’éloge de l’apocalypse, révèle plutôt la désespérance des paysages gris et plats du Nord, d’où il vient que les lumières pures des îles mascarines qu’il vit, dit-il, comme une illumination.
Ce recueil égrène au fil des pages des poèmes, généreux en quatrains, sonnets et autres alexandrins. L’auteur prévient en quatrième de couverture que le voyage à dos de ses vers ne sera pas gai. « Mais il faut entendre le terme apocalypse dans son sens biblique, comme le début d’un autre monde, nous confie-t-il. Ce recueil rassemble la face ténébreuse de la vie, où l’on tue l’ancien monde en quelque sorte, mais le prochain parlera d’amour et de cet autre monde. » Ici, les quatre-vingt pages foisonnent d’une imagerie appartenant à l’univers de la mort, de la guerre, des amours déçues et des injustices. Difficile de ne pas penser à Rimbaud ou Victor Hugo en les découvrant, tant les images y sont fortes et le lyrisme empreint à la fois de révolte et d’une tristesse sans limites. L’auteur voue en effet une passion aux poètes du XIXè, de ceux cités plus haut à Verlaine ou Baudelaire. Cette poésie le fascine tant pour la force des images que pour sa forme très travaillée. L’auteur explique encore que, peut-être contrairement aux personnes qui ont la foi, il a besoin à travers sa poésie d’exorciser des peurs que ceux qui croient à la vie éternelle n’ont pas.
Sur le fond, le livre parle du racisme, de la guerre, du lucre et de l’injustice de la mort. Mieux que cela, l’intimité des mots et des images révèlent l’intériorisation sensible de ces actes aussi tristes et révoltants que lâchement humains. Aussi est-on malgré la modernité du vocabulaire, frappé par le classicisme avec lequel ce poète travaille la langue. « J’ai l’alexandrin naturel, dit-il sans vanité. Ça vient tout seul, même si ensuite j’y reviens. Un poème n’est jamais terminé… Et puis, j’aime beaucoup la forme synthétique et efficace du sonnet. Cela étant, je ne me sens contraint par aucune forme et la seule chose que je tente est de ne pas faire de fautes de prosodie… Je ne crois pas en avoir fait. »
La relecture de ses anciens textes lui a inspiré une suite à chaque fois. Le recueil alterne du début à la fin un poème ancien portant un titre suivi d’un autre (sa suite actuelle) sans titre. Chaque paire contraste. Le poème récent ayant souvent une forme plus libre, il peut s’avérer plus lyrique et plaintif ou à l’inverse, plus narratif. Le plus ancien Moriturus te salutat a été écrit il y a 25 ans en hommage à un ami disparu, puis entièrement réécrit. La mort traîne sa faux tout au long de ce livre avec parfois des détails d’une morbidité glaciale. La force des images est décuplée par un travail minutieux de la langue. L’auteur cisèle les mots, il les aime rares ou surprenants, il les assemble pour mieux raconter les faits d’une humanité cruelle. L’auteur parle du monde des souffrances que les hommes s’imposent les uns aux autres. Et la contrainte de la forme parfois très classique a le don de dramatiser et rendre encore plus tangibles les situations et états décrits. « En poésie, je suis un révolté, un militant des droits de l’homme », conclut notre interlocuteur.
Poète de la révolte, il traque la mort pour mieux vénérer le vivant...
Dominique Bellier, pour Le Mauricien