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Les chroniques de Froissart 
 
 
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Florilège d'articles

Article 1: 
 
Lire et écouter avec l'esprit critique 
 
Reconnaitre les textes volontairement abscons | Déjouer le parler correct | La valeur des statistiques 
 
L'esprit critique ne consiste pas à tout critiquer mais à tenir pour vrai uniquement ce que l'on a vérifié. Que ce soit à l'aide de la logique, de la statistique, des probabilités ou de l'argumentation. 
 
Tout lecteur et auditeur de discours argumentatifs sera intéressé par ce texte qui propose quelques moyens pour élaborer sa propre opinion sans se laisser abuser par des discours manipulateurs ou erronés. 
 
 
 
Reconnaitre les textes volontairement abscons 
Beaucoup d'écrits argumentatifs, au cours de ces dernières décennies, sont mal structurés (pas d'annonce du plan, pas de repères dans le texte), contiennent des raisonnements erronés, un vocabulaire inutilement compliqué et regorgent de citations (alors qu'une référence suffirait si l'auteur avait ses propres idées). 
 
Certes, cela peut s'expliquer par le fait que le nombre d'écrivains est très important comparé au nombre de questions traitées. Par ailleurs, les journalistes qui sont pressés par le temps (quotidien, hebdomadaire, journal télévisé...) cherchent d'abord à être les premiers à donner une information et non à être clairs et objectifs. 
 
De plus, notamment dans les sciences humaines, un certain courant de pensée : le relativisme, suppose que chaque opinion se vaut. Or, s'il est vrai que l'évolution de l'environnement socioculturel peut relativiser une théorie portant sur l'être humain, il est faux de croire que tous les points de vue se valent. À plus forte raison encore dans les sciences de la nature ou mathématiques. 
 
Afin de mieux repérer les textes inutilement compliqués, voici quelques expressions devant éveiller votre esprit critique : 
 
Depuis la nuit des temps  
Depuis toujours  
Il est connu  
Il y a longtemps qu'on le sait  
Il est de notoriété publique  
Tout le monde sait  
On sait bien que  
Ensuite, pour y voir plus clair dans la multitude de textes que l'on peut lire ou entendre voici quelques méthodes : 
 
Méthode de questionnement  
Une étude crédible doit répondre aux questions Quoi, Qui/Pour Qui, Où/Quand/Comment et Pourquoi. Si elle ne répond pas à toutes ces questions elle doit le dire explicitement.  
Méthode de Descartes  
Décomposer un problème, progresser du plus simple au plus complexe, tout vérifier et ne rien oublier.  
Méthode scientifique  
Tout phénomène présenté comme véridique ou scientifique doit répondre à ces critères :  
la logique et la validité  
Quelles sont les prémisses et les preuves ? Sont-elles valides ? Les preuves apportées sont-elles suffisantes ? Les témoignages présentés sont-ils valides ? La conclusion est-elle inéluctable ?  
la falsifiabilité  
Tout énoncé doit être falsifiable, c'est-à-dire qu'il doit exister au moins une façon de prouver qu'il est faux. On doit donc pouvoir le tester.  
la réplicabilité  
Peut-on reproduire le phénomène ?  
l'exhaustivité  
Existe-t-il d'autres explications, notamment plus simples ? N'a-t-on oublié aucun cas ?  
 
 
L'implication, symbolisée par =>, est source de confusion. Voici ce que l'on peut déduire de A => B : 
 
(A => B) <=> (non A => rien)  
(A => B) <=> (B => rien)  
(A => B) <=> (non B => non A) 
On voit que seule la contraposée, non B => non A, est déductible de l'implication A => B. Afin de vérifier qu'une implication n'est pas incohérente il est très utile de la transformer en sa contraposée pour voir la relation sous une autre forme qui n'en est pas moins équivalente. 
 
 
 
Abordons maintenant les relations de cause à effet. En général, il n'y a pas de similitude entre la cause et l'effet qu'elle produit. Un lien de causalité implique une corrélation mais une corrélation n'implique pas forcément un lien de causalité. La méconnaissance de ces deux principes sont souvent à l'origine d'une mauvaise compréhension des phénomènes. 
 
Chaque fois que la cause et l'effet sont très rapprochés dans le temps, on doit se demander si l'effet renforce la cause ou si, au contraire, il la diminue : ce sont les deux évolutions possibles de la rétroaction positive. Des exemples sont l'inflation ou le succès. 
 
Si le phénomène évolue vers la stabilité alors on a à faire à une rétroaction négative. Lorsque l'effet augmente il induit une diminution de la cause et inversement. Un exemple est la loi de l'offre et de la demande. 
 
Bref, lorsqu'un texte parle d'un phénomène, ne confondez pas liens de causalité et corrélations et sachez reconnaitre les deux types de rétroaction. 
 
Adresses Internet intéressantes, pour l'instant uniquement sur les parasciences : 
 
Journal Quebec sceptique  
Skeptic's dictionnary  
Skeptical Inquirer magazine  
The Skeptic Magazine UK  
 
 
Déjouer le parler correct 
Le « parler correct », aussi appelé « politiquement correct », est un type de discours qui consiste à utiliser certains mots ou expressions dans le but général de désinformer afin d'empêcher toute réflexion ou débat sur un sujet donné. 
 
On distingue au moins trois types de mots ou expressions : 
 
Les mots ou expressions consensuels  
Les abus d'euphémismes, d'oxymorons...  
Les mots scientifiques inventés ou détournés  
Quelques exemples du « parler correct » : 
 
Transparence, traçabilité  
Non-entendant pour sourd, technicien de surface pour balayeur, sans-papier pour clandestin ; guerre propre (oxymoron)  
Trouble d'angoisse sociale pour timidité (expression inventée aux États Unis afin de vendre un antidépresseur, le Paxil, ce qui a fonctionné...)  
Les mots ou expressions consensuels permettent de satisfaire tout le monde et ainsi n'ont plus aucun sens. On ne peut donc plus critiquer le mot puisqu'il n'a pas de sens précis. 
 
Les abus d'euphémismes permettent de ne pas choquer les « bien-pensants » et de faire croire hypocritement que la société accepte l'anormalité. Toutes ces figures de style utilisées à des fins de manipulation ont été employées depuis l'Antiquité grecque mais aujourd'hui seuls les publicitaires, les journalistes et plus généralement les écrivains semblent les connaitre. Elles peuvent donc êtres très efficaces. 
 
Enfin, les mots scientifiques inventés ou détournés augmentent artificiellement leur crédibilité, ils permettent d'empêcher l'accès à la signification du mot et de changer leurs définitions en fonction des circonstances. Ce dernier point est aussi valable pour les mots consensuels. 
 
 
 
Sans être directement lié au parler correct, le manichéisme est une attitude qui le complète très bien. Ainsi, dans les débats d'opinions, une des erreurs les plus fréquente consiste à être pour ou contre. Comme si la majorité des problématiques ne permettaient que deux réponses possibles. Très souvent la question est mal posée ou les réponses proposées à l'avance. De toute manière il est important de prendre du recul par rapport au problème et d'étudier les principaux points de vue. 
 
 
 
La valeur des statistiques 
Les résultats des sondages doivent être pris avec beaucoup de prudence. En effet, même si la technique d'échantillonnage semble au point, deux formulations différentes d'une même question peuvent donner des réponses contradictoires. Par ailleurs, beaucoup de résultats statistiques n'ont pas de sens car la définition de l'objet de la mesure est imprécise ou pire la grandeur considérée n'est pas mesurable. On n'oubliera pas, par exemple, que la plupart des comparaisons statistiques internationales ne sont pas valables car les méthodologies sont différentes d'un pays à l'autre. 
 
De plus, les personnes interrogées peuvent ne pas maitriser le sujet et donc leurs réponses ne refléteront pas leurs opinions puisqu'elles ne pourront alors en avoir. C'est le choix de réponse classique « ne sais pas » qui est souvent trop peu utilisé par les interrogés. Si le pourcentage de cette réponse dépasse 25ous pouvez mettre en doute l'intérêt des réponses. 
 
Ces deux remarques entrainent qu'une grande partie des sondages sont erronés et donc inutilisables. Il est vrai, cependant, que les sondages politiques ou sur les achats futurs renseignent sur les croyances et les besoins à court terme des sondés. À condition que ces derniers soient conservateurs dans leurs habitudes et qu'une nouvelle mode n'apparaisse pas... 
 
On peut surmonter le problème en posant les mêmes questions sous des formulations différentes mais cela double ou triple l'échantillon de personnes à interroger. Ensuite il faudrait aussi instruire les gens afin qu'ils comprennent les conséquences de leur opinion. Au final, les statistiques ne sont qu'une méthode qui permet d'obtenir un "instantané" d'opinions avec tous les biais que cela peut entrainer. 
 
Adresses Internet intéressantes : 
 
Association Pénombre sur l'utilisation des nombres dans le débat public.  
 
 
Version : 1.2 (septembre 2001-mars 2002)  
Auteur : Thomas Heitz  
Sources principales :  
Association Pénombre sur l'utilisation des nombres dans le débat public.  
Faussement vrai & vraiment faux, La logique au quotidien, Solange Cuénod.  
 
 
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Tous les matériaux proposés sur ce site sont la propriété de leurs auteurs respectifs.  
Projet "être efficace avec la connaissance" développé par Thomas Heitz  
Dernière modification : 10 Février 2006  
 
Article 2: 
Mission et rôle des Sceptiques du Québec  
 
Les Sceptiques du Québec inc. est une association à but non lucratif fondée en 1987. Son principal objectif est de promouvoir la pensée critique et la rigueur scientifique dans le cadre de l'étude d'allégations de nature pseudoscientifique, religieuse, ésotérique ou paranormale. La corporation compte près de 400 membres et abonnés à travers le Québec, dont une quarantaine de membres actifs qui sont tous des bénévoles. 
 
Notre interprétation du scepticisme 
Les Sceptiques du Québec ne nient pas l'existence de phénomènes insolites ou inexpliqués en regard des connaissances actuelles. Le scepticisme des Sceptiques du Québec n'est pas une prise de position, mais plutôt une attitude de questionnement qui vise à faire progresser la connaissance en amenant à distinguer entre croyance subjective, opinion plausible et connaissance établie. Mais comme une connaissance ne peut être établie que si l'on dispose de faits observables dans des conditions contrôlées, les Sceptiques du Québec ne s'en prennent pas aux conceptions métaphysiques ou religieuses en tant que telles, ils s'intéressent plutôt aux faits observables qui pourraient, par exemple, découler de ces conceptions. 
 
Ils encouragent, dans ces domaines, les recherches rigoureuses qui suivent une méthodologie adéquate, à commencer par la démonstration de l'existence des phénomènes étudiés. Les explications avancées pour rendre compte de ces phénomènes doivent être démontrées de façon convaincante. Et il revient bien évidemment à ceux qui les formulent d'en prouver la valeur. D'autre part, il est clair que toutes les hypothèses voulant expliquer un phénomène ne sont pas équivalentes. Même si elles sont cohérentes, celles qui contredisent des théories et des hypothèses qui s'appuient sur des acquis scientifiques doivent être démontrées de façon suffisamment solide pour pouvoir cohabiter avec ces acquis, à défaut d'y être intégrées. 
 
De fait, le scepticisme des Sceptiques du Québec s'apparente au doute méthodique qui est un ingrédient essentiel au succès de la méthodologie utilisée en recherche scientifique. 
 
Voir aussi : 
 
« Le scepticisme des Sceptiques du Québec », extrait du Québec Sceptique no 16/17, page 3-4, mars 1991, par Philippe Thiriart,  
« Les Sceptiques du Québec face aux croyances », extrait du Québec Sceptique no 23, page 15, septembre 1992, par Philippe Thiriart,  
« Esprit sceptique, qui es-tu? », extrait du Québec Sceptique no 25, page 13, printemps 1993, par Laurent Lafleur,  
« Observer le monde avec scepticisme », extrait du Québec Sceptique no 25, page 20, printemps 1993, par Raymond Chevalier.  
Historique des groupes sceptiques 
Dans l'histoire, il y a eu de nombreux sceptiques célèbres, mais des sceptiques réunis en association, c'est un phénomène plutôt récent. La plus vieille association de sceptiques est sans doute le Comité Para belge, fondé en 1949. Il est aussi connu sous le nom de Comité Belge pour l'Investigation Scientifique des Phénomènes Réputés Paranormaux. C'est sûrement ce qui inspira les sceptiques américains qui fondèrent, en 1976, le Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal (CSICOP) à un symposium de l'American Humanist Association. On compte aujourd'hui plus de 80 groupes de Sceptiques dans une trentaine de pays à travers le monde. Tous les membres qui oeuvrent au sein de l'association des Sceptiques du Québec le font bénévolement. Les fonds, amassés principalement grâce aux cartes de membre, aux abonnements à la revue Le Québec Sceptique, aux soirées-conférences et aux dons, servent à financer nos activités. 
 
Quelques groupes sceptiques parmi les plus connus : le Cercle Zététique, l'Union Rationaliste, le Laboratoire de Zététique de l'Université de Nice, l'Association Française pour l'Information Scientifique, l'Ontario Skeptics Society for Critical Inquiry (OSSCI) et les Australian Skeptics 
 
Anciens slogans des Sceptiques du Québec : 
 
Promouvoir la pensée rationelle et l'esprit critique.  
Les Sceptiques sont un caillou dans la chaussure de l'humanité en marche vers la crédulité. (Jean Dion, Le Devoir, 16 décembre 1999)  
 
Article 3: 
Citations : Scepticisme 
 
 
 
"Notre raison n'est propre qu'à brouiller tout et qu'à faire douter de tout : elle n'a pas plus tôt bâti un ouvrage qu'elle vous montre les moyens de le ruiner." 
(Pierre Bayle / 1647-1706 / Dictionnaire historique et critique, 1697) 
 
"Puisque Dieu doute de nous, rendons-lui la pareille et quittes serons-nous." 
(Achille Chavée, poète belge / 1906-1969) 
 
"Un philosophe se sauve de la médiocrité seulement par le scepticisme ou par la mystique, ces deux façons de désespérer de la connaissance." 
(Emile Michel Cioran / 1911-1995 / Des larmes et des saints / 1937) 
 
"Le sceptique est le désespoir du diable. C'est que le sceptique, n'étant l'allié de personne, ne pourra aider ni au bien ni surtout au mal. Il ne coopère avec rien, même pas avec soi." 
(Émile Michel Cioran / 1911-1995 / Cahiers 1957-1972) 
 
"Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute, comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré des ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier." 
(Stig Dagerman, romancier suédois / 1924-1954 / Notre besoin de consolation est impossible à rassasier) 
 
"Ainsi, l'incrédulité s'insinua en moi très lentement, mais elle fut à la fin, complète […] Cela se fit si lentement que je ne ressentis aucune détresse, et que je n'ai jamais douté depuis, même une seule seconde que ma conclusion ne fut correcte." 
(Charles Darwin / 1809-1882 / Autographie / 1876, publiée en 1888) 
 
"Les Sceptiques sont un caillou dans la chaussure de l'humanité en marche vers la crédulité." 
(Jean Dion / journal québécois Le Devoir / 16 Décembre 1999) 
 
"A force de lire des ouvrages de vulgarisation scientifique, j'ai bientôt eu la conviction que beaucoup d'histoires de la Bible ne pouvaient pas être vraies. La conséquence a été une véritable orgie fanatique de libre pensée accompagnée de l'impression que l'Etat trompe intentionnellement la jeunesse par des mensonges. C'était une impression écrasante. Cette expérience m'a amené à me méfier de toutes sortes d'autorité, à considérer avec scepticisme les convictions entretenues dans tout milieu social spécifique : une attitude qui ne m'a jamais quitté, même si par la suite, parce que j'ai mieux compris les mécanismes, elle a perdu de son ancienne violence." 
(Albert Einstein / 1879-1955) 
 
"J'aime mieux l'athée qui blasphème que le sceptique qui ergote !" 
(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Bouvard et Pécuchet / 1881) 
 
"Croyez ceux qui cherchent la vérité, doutez de ceux qui la trouvent." 
(André Gide / 1869-1951 / Journal 1889-1939) 
 
"La Foi soulève des montagnes ; oui : des montagnes d'absurdités. Je n'oppose pas à la Foi le doute ; mais l'affirmation : ce qui ne saurait être n'est pas." 
(André Gide / 1869-1951 / Journal 1926-1950 / 1947) 
 
"La crédulité est un signe d'extraction: elle est peuple par essence. Le sceptique, l'esprit critique est l'aristocratie de l'intelligence." 
(Edmond et Jules de Goncourt / Respectivement: 1822-1896 et 1830-1870 / Journal / 24 mai 1861) 
 
"L'intelligence incite à la réflexion - et la réflexion conduit au scepticisme. 
Le scepticisme, lui, vous mène à l'ironie. 
L'ironie, à son tour, vous présente à l'esprit - qui se trouve en apport direct avec l'humour - qui fait si bon ménage avec la fantaisie." 
(Sacha Guitry / 1885-1957 / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d'occupations) 
 
"En quoi, vous autres mystiques qui affirmez l'incompréhensibilité absolue de la Divinité, différez-vous des sceptiques et des athées, qui prétendent que la cause première de toute chose est inconnue et inintelligible ?" 
(David Hume / 1711-1776 / Dialogue sur la religion naturelle / 1779) 
 
"L'agnosticisme partage avec la foi du croyant l'idée qu'il existe de l'inconnaissable. Mais dire que l'inconnaissable existe, c'est savoir quelque chose sur l'inconnaissable. L'agnostique sait au moins ce qu'il entend par Dieu, assez en tous cas pour dire qu'il ne peut rien en dire: il y a là un cercle qui pourrait être vicieux. Le sceptique qui professe que "tout est incertain" doit faire une exception pour le principe qu'il vient de formuler, mais c'est une exception ruineuse. 
[...] 
Je crains que l'agnosticisme, très bien toléré socialement, soit parfois une idéologie de confort. Flotter aimablement entre deux clans est une façon de ne pas se faire d'ennemis, de se concilier plus facilement beaucoup de monde, d'éviter des obstacles, de se voir ouvrir plus de portes..." 
(Robert Joly / 1929-1987 / Dieu vous interpelle ? Moi, il m'évite... ) 
 
"La Critique de la raison finit donc nécessairement par conduire à la science ; l'usage dogmatique de la raison sans critique ne mène, au contraire, qu'à des assertions sans fondement, auxquelles on en peut opposer de tout aussi vraisemblables, et par suite, au scepticisme."  
(Emmanuel Kant / 1724-1804 / Critique de la raison pure / 1781) 
 
"La seule forme authentique de l'athéisme c'est, dans la théorie, la philosophie rationnelle et critique qui refuse toute prétention de fonder la vie sur des absolus; et dans la pratique une éthique pragmatique (donc sceptique), régulatrice du désir dans la relation à soi et aux autres en vue de réduire le risque de violence, d'accroître l'autonomie et la solidarité précisément humaine en ce qu'elle fait du désir et de ses ambivalences et contradictions l'essence de l'homme." 
(Sylvain Reboul / Débat avec Pascal Jacob) 
 
"Quant au sceptique "pourquoi ?" le "parce que" crédule a répondu, la discussion est close." 
(Jules Renard / 1864-1910 / Journal - 18 décembre 1889) 
 
"Tout le problème de ce monde, c'est que les idiots et les fanatiques sont toujours si sûrs d'eux, tandis que les sages sont tellement pleins de doutes." 
(Bertrand Russell / 1872-1970) 
 
"Pas sceptique, hérétique à mon hérésie." 
(Louis Scutenaire / 1905-1987 / Mes inscriptions, 1943-1944) 
 
"Le fait qu'un croyant soit plus heureux qu'un sceptique n'est pas autre chose que l'homme ivre qui est plus heureux que le sobre. Le bonheur de la crédulité est une qualité bon marché et dangereuse." 
(George Bernard Shaw / 1856-1950 / Préface de Androclès et le lion / 1912) 
 
"Le scepticisme, l'incertitude, ultime position où aboutit la raison exerçant son analyse sur elle-même, sur sa propre validité, est la base sur quoi le désespoir du sentiment vital va fonder son espérance." 
(Miguel de Unamuno / 1864-1936 / Le sentiment tragique de la vie) 
 
"Le croyant est heureux ; le sceptique est sage." 
(Proverbe hongrois) 
 
Le règne des oppositions 
 
 
 
 
 
par 
Solange CUENOD 
Philosophe 
 
 
 
Ce texte est un développement, adapté à l’actualité, à partir d’un point précis du livre de Solange Cuénod , « Faussement vrai et vraiment faux », PPUR, 1999. Le lecteur désireux d’obtenir de plus amples justifications n’aurait qu’à se reporter à cet ouvrage. 
 
L’affrontement du vrai et du faux « Je le sais car je le sens. » Ainsi sont établies la plupart des croyances.Sous l’influence de la science, qui a définitivement banni ce genre de justification, cette attitude a perdu du terrain dans la culture occidentale. Mais par quoi l’a-t-on remplacée ? Trop souvent, par des explications qui se parent des atours de la rationalité. Par exemple, on ne dit plus que le temps s’est mis au beau, parce que Dieu a exaucé nos prières, mais plutôt parce que le vent du nord souffle. Cependant cette argumentation ne vaut guère mieux. Chacun peut, en effet, constater que, lorsque le vent du nord est dû à une dépression centrée à l’est, il apporte des nuages. Cette observation, à elle seule, balaie la croyance en un vent du nord qui serait la cause du beau temps, malgré sa grande popularité. A la lumière des connaissances actuelles, il serait préférable de reconnaître que le vent du nord et le beau temps sont les effets d’une cause commune, un anticyclone situé à l’ouest. Cet échantillon du genre illustre une généralité : une affirmation qui est souvent vraie, mais parfois fausse, doit être considérée comme fausse. 
 
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Modèles aberrantsAucun nombre n’est magiqueLes habitudes de langageLe manichéismeSortirde l’extrémismeVers un futur radieux Un triste constat s’impose alors : le pouvoir du faux l’emporte sur le pouvoir du vrai. Vrai et faux sont deux contraires qui ne répondent pas à des propriétés symétriques ; ils ne peuvent donc être traités de manière égale. Hormis les constations factuelles, comme « il fait beau ce matin », il y a forcément beaucoup plus de propositions fausses que de propositions vraies. Une attitude assez sage serait de se dire que, dans la masse des affirmations qui circulent, tout est faux sauf de rares exceptions.A la limite, on pourrait en venir à douter que l’accès à la vérité relève du possible. Par bonheur, la réponse est immédiate : en admettant que la proposition « la vérité est inaccessible » soit vraie, alors cette affirmation devient elle-même douteuse, comme toutes les autres. On ne peut donc pas soutenir que tout accès à la vérité soit interdit. La vérité est donc accessible, ce qui est pour le moins rassurant. Mais, savoir quand elle est atteinte, c’est une autre affaire.En nous penchant sur ce dernier raisonnement, nous y reconnaissons notre refus catégorique d’accepter un énoncé qui se condamne lui-même. Une déclaration ne peut être à la fois vraie et fausse sans créer une intolérable contradiction. Une autre généralité se dégage : si une proposition entraîne une contradiction, c’est la marque de sa fausseté. Nous sommes donc assez bien armés pour détecter ce qui est faux.A chaque proposition fausse correspond une proposition vraie, sa négation. Prudents envers ce qui se prétend vrai, nous pouvons savoir avec certitude ce qui ne l’est pas. La Terre n’est pas plate, les mirages ne sont pas un effet de la soif, les Crétois ne disent pas que des mensonges.Tout comme certaines personnalités excellent par leur sens commun ou comme d’autres ont développé un sens aigu du ridicule, il en est qui disposent d’un sens prononcé des contradictions logiques. Ces esprits-là bénéficient d’un atout inestimable puisque les contradictions sont les marqueurs du faux. En effet, quand un raisonnement est juste et qu’il part de prémisses correctes, il ne peut déboucher sur une contradiction.De plus, il existe un important théorème, l’ex falso quodlibet, qui établit que, en partant d’une contradiction, on peut tout démontrer, aussi bien le faux que le vrai.Les beaux parleurs ne se privent pas de disserter rationnellement sur des bases contradictoires, allant de « Dieu châtie ceux qu’Il aime » à « l’amour que cette femme porte à son fils est celui d’une mère castratrice », ou « le fils s’identifie au père et désire le tuer », sans oublier le dangereux « si tu veux la paix prépare la guerre ».Dans ces conditions, il y a lieu de se demander pourquoi on tient tant aux idées du passé quand elles sont contredites par les acquis de la science. Elles devraient être oubliées car, en les conservant, on fait un amalgame contradictoire. Trop de citations puisées dans notre patrimoine culturel sont encore vivantes alors qu’elles devraient être reléguées au musée des idées mortes. Pensons à « la nature a horreur du vide » ou à « rien ne se crée, rien ne se perd », ou encore à « le tiers est exclu » ; autant de déclarations qui, sorties de leur contexte, ont perdu leur validité.Chaque fois que nous acceptons une contradiction logique, même sans le savoir, nous donnons notre aval à l’obscurantisme. D’autre part, comme les seules certitudes que nous puissions avoir sont celles de la fausseté, tant qu’une croyance n’a conduit à aucune contradiction, on la tient pour vraie, mais toujours avec une certaine réserve.Quand on dit qu’il faut se méfier des raisonnements, on ne parle pas seulement des mauvais mais aussi des bons. Pourquoi faudrait-il se méfier d’un raisonnement, même quand il est correct ? Parce que, pour justifier du vrai, un raisonnement sans faille ne suffit pas, encore faut-il que son point de départ soit juste. Un raisonnement solide aura, malgré tout, permis de tomber sur une vérité. Dans le domaine des idées, avec du faux, on peut produire du vrai ! Les esprits non avertis croient alors qu’un beau raisonnement valide son point de départ, mais bien à tort.Le fait que les astrologues utilisent des mathématiques pour garantir leurs raisonnements n’ajoute évidemment aucune crédibilité à leurs bases (une prétendue relation entre le vécu d’un Terrien et la position qu’avaient, au moment de sa naissance, les planètes visibles à l’œil nu).Pour expliquer correctement un phénomène, il faudrait toujours s’appuyer sur une affirmation vraie. Mais comme peut-on être certain de sa véracité ? A son tour, elle doit découler d’une affirmation vraie, qui elle-même repose sur une autre affirmation vraie et ainsi de suite. Il est donc bien difficile d’être jamais sûr qu’une interprétation soit la bonne. L’ombre du doute plane longtemps avant qu’une certitude ne puisse éclore : sauf quand la certitude concerne la fausseté dès lors qu’elle a débouché sur une contradiction.En résumé, faute de ne jamais savoir tout à fait comment sont les choses, nous devons nous contenter de savoir parfaitement comment elles ne sont pas. Et ce n’est déjà pas si mal.Il y a évidemment de nombreuses méthodes pour faire passer une théorie extravagante et même pour aller jusqu’à la prétendre scientifique. Nous avons vu celle qui consiste à introduire au départ, en lieu et place d’une contradiction, n’importe quelles prémisses non moins erronées. Après une suite d’inférences convenablement menées, on parviendra à une conclusion qui n’est pas forcément fausse. Néanmoins, si son désaccord avec la réalité est trop criant, il est aisé de redresser la situation. Il suffit d’inventer un facteur de correction qui, ayant été omis au départ, fera toute la différence. Les « ascendances » utilisées en astrologie en sont un bon exemple. Avec cette tactique, on peut corriger les conclusions à volonté et s’arranger pour que les horoscopes n’aient jamais visiblement tort.Attardons-nous quelque peu sur un autre exemple, le système du monde modélisé par le symbole taoïste du yin et du yang.Comme, à l’évidence, tout dans la réalité n’est pas complètement noir ou complètement blanc, ce modèle prétend avoir atteint la conformité grâce à l’introduction d’un facteur de correction. Par l’ajout d’un petit rond noir dans le blanc et d’un petit rond blanc dans le noir, le partage radical du monde en deux principes paraît donc avoir été corrigé. Ce modèle est accepté avec sympathie car il affiche en toute modestie son remaniement, mais il n’est pas devenu adéquat pour autant. Regardons pourquoi.S’il était suffisant de remanier une représentation impropre pour la rendre valable, cela signifierait que la correction, parce qu’elle est souhaitable, ne peut être que bonne ; c’est du moins ainsi que beaucoup de gens le ressentent. On se réfère donc au modèle lui-même pour le corriger. De deux choses l’une : ou bien le modèle du partage radical du monde en deux nuances est valable et il ne nécessite aucune correction ou bien il n’est pas valable et ne peut donc servir de base à sa correction. Tel qu’il est, il déclare à la fois sa fausseté et sa vérité. Il est auto-contradictoire et c’est pourquoi il peut servir à démontrer n’importe quoi. C’est un modèle passe-partout qui a su s’infiltrer au plus profond de notre culture.Ce partage des valeurs en deux catégorie est si solidement ancré dans nos esprits que nous sommes littéralement obnubilés par la notion de contraires. Nous la confondons avec celle de négation. Ne pas être intelligent, c’est être bête ; ne pas être beau, c’est être laid ; ne pas être gai, c’est être triste ; et ainsi de suite. Positif-négatif, masculin-féminin, qualités-défauts, amis-ennemis, vérités-mensonges, supérieur-inférieur, optimisme-pessimisme, tout est appréhendé selon le schéma binaire des oppositions.La vision antique qui envoyait dos-à-dos le Ciel et la Terre, les vivants et le morts, les anges et les démons est pourtant sérieusement dépassée. Rien dans la nature ne favorise systématiquement le nombre deux. C’est notre culture qui lui fait jouer un rôle prépondérant, sans doute sur la base de la plus ancienne et la plus obsédante des constatations : il y a deux sexes. Et encore aujourd’hui, on s’acharne à les regarder comme des contraires.Par un euphémisme révélateur, on croit échapper à cette vision outrancière en disant que « l’homme et la femme sont complémentaires » et non pas contraires, sans se douter que cette expression ne change en rien le concept incriminé car, d’une manière tout à fait générale, dans un ensemble composé de deux parties, chacune est forcément complémentaire de l’autre. Utiliser le terme complémentaire plutôt que contraires revient malgré tout à faire une classification en deux catégories distinctes. Il n’y a aucune raison pour que l’une de ce deux appellations soit plus réaliste que l’autre.Demandons-nous pourquoi il nous paraît si absurde de prétendre que « l’homme et la femme » sont des contraires. De toute évidence, leurs ressemblances l’emportent de très loin sur leurs dissemblances et l’extrapolation des indéniables différences physiques au domaine complexe de l’esprit est surfaite. De nombreux chercheurs (et chercheuses !) traquent à coups de statistiques les moindres divergences de comportement entre les hommes et les femmes. L’acharnement avec lequel ils s’attaquent au problème débouche forcément sur des pourcentages qui sont rarement similaires pour les deux parties des échantillons examinés. Ces résultats ne sont rien de plus que de vagues indicateurs de tendances. Pour conclure que « les femmes sont comme ceci et les hommes comme cela », il faudrait que le comportement de toutes les femmes d’un échantillon représentatif réponde à un même critère contrairement à celui de tous les hommes de ce même échantillon. Or ce n’est jamais le cas. Ce partage en deux comportements distincts, qui fait partie des hypothèses, se retrouve dans l’interprétation des résultats. En effet ; étant donné l’attribution du comportement majoritaire à l’une ou à l’autre des deux catégories d’individus, chacun d’eux serait en fin de compte composé d’un mélange plus ou moins prononcé de féminité et de virilité. Ce qui contredit l’hypothèse du partage radical de l’espèce en deux catégories !Rassurons le lecteur, cette contradiction ne démontre pas la fausseté de l’hypothèse de départ, à savoir qu’il existe deux sexes physiquement discernables, mais seulement l’excès de la démarche qui vise à mettre l’accent sur les différences mentales, alors que de toute manière, la diversité des esprits est infinie. Les statistiques dont nous venons de parler mettent en évidence des tendances de comportement, pas plus. Il serait donc raisonnable de songer à les attribuer aux contexte éducatif et culturel qui soumet bommes et femmes à des pressions bien différentes depuis la plus tendre enfance. Que ceux qui en doutent songent aux statistiques concernant les populations humaines dont aucune n’échappe à la classification sexiste, que ce soit les résultats scolaires, les accidents, les maladies, les préférences, les lectures, la consommation, les coutumes, les croyances ou les opinions politiques.Dans la mesure où la vérité et la fausseté sont attribuées aux différents énoncés, nous usons d’une dichotomie. Avec le couple vrai-faux, nous avons construit un système qui est en parfait accord avec notre relation au monde réel pour autant que l’on sache manier correctement ses règles.Est-ce à dire que le nombre deux détient la solution du déchiffrage du monde ? Loin s’en faut ! Deux n’est pas un nombre clé dans la description de la réalité, mais un nombre parmi les autres.Il est vrai que le corps de presque tous les animaux est construit de part et d’autre d’un plan de symétrie vertical, ce qui produit beaucoup d’organes à double. Il est vrai aussi que les sexes sont au nombre de deux dans tout le règne vivant.Cependant les cellules du fond de l’œil qui permettent la perception de la couleur sont de trois sortes chez l’espèce humaine et quelques autres mammifères. Les peintres ainsi que les imprimeurs savent bien que l’on peut restituer toutes les nuances en mélangeant correctement trois couleurs de base.Les biologistes ont découvert que les milliers de protéines qui gouvernent notre métabolisme sont d »énormes molécules constituées par des acides aminés qui sont accrochés les uns aux autres en une longue chaîne, comme les wagons d’un train. Chaque assemblage se forme à partir d’un choix parmi vingt sortes de ces acides aminés. Toute la vie telle que nous la connaissons est construite avec les mêmes vingt unités de base.Chacun sait aussi que l’hérédité est portée par l’ADN, une macromolécule à double brin, ceux-ci étant reliés par des échelons de quatre sortes, les nucléotides. La disposition et le nombre de ces échelons déterminent la fabrication d’une protéine ou d’une autre (par un mécanisme non encore élucidé). Les biologistes comparent souvent ce dispositif à un code à quatre lettres.Nous voyons bien que du noir et du blanc, mêmes subtilement répartis, sont loin de suffire à la représentation de la réalité matérielle, et combien plus encore lorsqu’il s’agit de l’âme humaine ! Une représentation en couleur, débordant de nuances, de subtilités, de fondus, de dégradés, de formes imbriquées, d’espaces parfois difficiles à cerner serait plus opportune.Ce sont nos ancêtres qui ont fabriqué le langage que nous utilisons. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il véhicule leur vision simpliste du monde. Pourtant nous le pratiquons comme s’il était parfaitement adapté à nos besoins alors qu’il est contaminé par la dualité. Les conséquences de cette méprise sont graves car, sans en être conscients, nous communiquons une idée du monde qui n’est pas forcément la nôtre. Pire, nous nous laissons emprisonner par les diktats du langage.En écrivant, il n’est pas facile d’éviter les locutions « au contraire », « par contre » et « en revanche » tant elles sont courantes. On peut aussi se demander pourquoi les alternatives se limitent toujours à deux termes, ce qui exclut qu’il y en ait davantage. Nous sommes tellement habitués à entendre poser les questions sous forme binaire que nous n’y prenons pas garde. L’interrogation « faut-il prévenir la délinquance ou au contraire la réprimer ? » impose de choisir entre deux positions qui ne s’excluent pourtant pas nécessairement. Ou celle-ci : « Selon vous, les quotas sont-ils une bonne ou une mauvaise solutions ? » alors qu’ils ne sont, peut-être, que la meilleure des mauvaises solutions. Et que dire des questionnaires à options où l’on aimerait tant répondre autrement que par oui ou par non ? Les « oui, mais … » et les « oui, à condition que … » en sont totalement exclus. Il ne faut mettre qu’une seule croix par item, interdisant de ce fait la réponse nuancée « oui et non ».A l’école, les vocabulaires ont coutume de donner systématiquement l’antonyme, comme s’il était forcément unique. Dès les classes primaires, nous avons été abreuvés de dualités par la sempiternelle question : « Quel est le contraire de … ? ». Plus tard, on nous a appris à faire une dissertation sur la base de la thèse et de l’antithèse. En arithmétique, on appelle les nombres entiers pairs ou impairs suivant qu’ils sont divisibles ou non par 2, mais personne ne se soucie de nommer les classes déterminées par la division par 3, par 5 ou par 10.On ne peut ouvrir la bouche sans que l’interlocuteur ne se pose immédiatement la question : « Est-il pou ou est-il contre ? » Et, pire, quand vous dites : « moi, je suis pour », cela signifie, en plus, que vous êtes contre les personnes qui sont contre.Les habitudes portées par le langage trahissent constamment la pensée de ceux qui se sont libérés de cette maladie culturelle dont la gravité lui vaut bien de porter un nom : la binariose. Et si d’aventure vous en étiez guéri, vous ne devriez jamais oublier que les autres ne le sont pas.Tout ce qui est formulé ne peut échapper aux connotations binaires car les mots eux-mêmes sont chargés de jugements péjoratifs ou laudatifs. Quelle est la nuance entre patriotisme et nationalisme, si ce n’est que le premier sous-entend une approbation, contrairement au second ? La mode est à la classification en « positifs » et « négatifs » qui sont affectés à des concepts pourtant identiques, comme pour complémentaires et contraires ou pour tolérance et laxisme. Le jargon d’aujourd’hui, où l’on choisit ses mots suivant qu’ils sont positifs ou négatifs, nous montre bien que nous sommes encore en plein archaïsme.La neutralité des journalistes est soumise à rude épreuve avec la terminologie dont ils disposent. Ils diront qu’un homme a été assassiné ou abattu en fonction de l’estime qu’ils lui portent. Ils parleront d’opération de nettoyage ou de massacre suivant qu’ils approuvent l’opération ou la réprouvent. Ils rapporteront les faits d’un résistant ou d’un terroriste selon leur camp et choisiront entre les mesure de rétorsion et les exactions. Il est difficile d’être neutre, car les mots dont nous disposons ne le sont que rarement.Les traits de caractère n’échappent pas non plus à la dichotomie coutumière : ils sont rangés en qualité et en défauts … mais avec la retouche que l’on sait puisque le modèle est incorrect : on a donc les défauts de ses qualités et les qualités de ses défauts. Proposons donc de nous attaquer à la tradition en supprimant cette partition de l’âme humaine en noir et blanc. A l’origine, les concepts de défaut et de qualité n’avaient d’autre objectif que d’imposer la référence à un modèle standard. En nous en affranchissant, nous accorderons à chacun le droit à sa personnalité. Gageons que tout le monde s’en portera mieux.A être toujours pour ou contre, on devient querelleur. On ne peut dialoguer sereinement. Mais c’est bien pire encore car on ne peut louer un agissement quand il provient du leader d’un parti que l’on réprouve sans être accusé d’hypocrisie et , parallèlement, dans son propre camp, il faudrait tout approuver si l’on craint de passer pour un traître.Il serait souvent avantageux de pouvoir s’appuyer sur une anecdote aux seules fins d’illustrer une pensée plus générale, mais le risque d’être mal interprété recommande le silence. Si l’on surmonte ce handicap, il est prudent de faire précéder le propos d’un petit préambule afin que chacun sache bien que l’on n’a rien contre les agissements dont on va parler, ni contre la personne en question. Suit alors le léger raclement de gorge caractéristique ; puis le locuteur peut enfin aborder le vif du sujet. Toutefois, cela n’empêchera nullement que, dans son discours, soient décelés plein de sous-entendus et d’intentions cachées.La langue de bois est une sage précaution pour ceux qui doivent parler en public et les conversations sans intérêt, le seul moyen de sauvegarder de bonnes relations. Mais ce n’est pas ainsi que l’on fera avancer le monde.La morale est un système construit sur le modèle binaire. Le bien est à la fois le contraire et la négation du mal (et réciproquement). En effet, dire à un enfant « c’es pas bien » a exactement la même signification que « c’est mal ». Si l’on voulait conserver ces deux concepts en dehors d’une partition binaire, il faudrait admettre qu’ils sont relatifs. On ne pourrait plus dire le Bien et le Mal, mais ce qui est plus ou moins bien ou plutôt bien selon les circonstances, ou mal à court terme tout en étant bien à long terme.Il est à remarquer que les systèmes impérialistes sont toujours accompagnés de discours manichéens.L’apparence de cohérence étant chère à la raison, peu importe si un système de pensée n’est pas réaliste pourvu qu’il soit habituel, simple et qu’il serve les intérêts à court terme de ceux qui le pratiquent. C’est une vieille histoire qui remonte sans doute à l’aube des civilisations. Habituel, donc il a fait ses preuves, dit-on. Simple, il peut être assimilé dès le plus jeune âge et n’en sera que mieux ancré. Utile à la prospérité de la famille, du groupe, de la tribu, de la nation, il sera prêché par ceux qui détiennent l’autorité.Remarquons que le manichéisme, qui est de nature morale, est toujours associé ç un autre support dual, de nature politique celui-là, ses deux parties étant nous et les autres. Ce qui est bon pour nous trouvera sa justification sous le couvert du Bien, même si c’est mauvais pour les autres. Ce qui est bon pour les autres et mauvais pour nous sera frappé du sceau du Mal. Chacun a encore en mémoire la parfaite similitude entre le discours de « Bush the-2nd », après l’attentat du 11 septembre 2001, et les propos tenus par les Mollahs. Suivant le camp, ce qui est mal pour les Etats-Unis l’est forcément pour l’univers entier et doit donc être réprimé sans concession ou ce qui est mauvais pour l’Islam contrecarre le plan divin et doit être détruit sans scrupules. Chacun attribue à Dieu ou à Allah, donc au Bien, ce qui est favorable à son clan et, d’une seule voix, expédie à Satan tous ceux qui lui nuisent.Plus personne ne peut douter aujourd’hui que les notions de bien et de mal absolus entretiennent la division du monde en deux blocs ennemis. Les deux blocs, qu’ils soient ceux d’aujourd’hui ou ceux d’hier, se livrent un combat sans merci dans la plus parfaite vision binaire. Pourquoi les dirigeants qui dénoncent le fanatisme chez les autres tout en le pratiquant chez eux, obtiennent-ils si facilement l’adhésion des foules ? La réponse est lamentablement simple : ils partagent la même philosophie de base, celle du « Toute binaire » et ne peuvent déboucher que sur l’éthique duale.Dans un système de pensée à deux cases, seul l’extrémisme trouve une place. Les tolérants n’ont qu’à se taire car il ne peuvent être compris. Et quand, au lieu de cela, ils parlent et risquent de gagner de l’audience, ils se font assassiner, comme Anouar el Sadate et Itzhac Rabin.Pour l’instant, chez nous comme ailleurs, malgré une volonté de conciliation, en souscrivant à la doctrine du bien et du mal absolus, nous entretenons l’extrémisme. Aucune tolérance n’a la possibilité de se manifester au sein d’une doctrine manichéenne. Le système s’entretient par lui-même depuis fort longtemps avec ses conflits perpétuels. Sa stabilité fait penser qu’il est naturel, pourtant, comme nous l’avons montré, il est véhiculé par le langage. Il est donc culturel. Que la violence soit inhérente à la nature humaine devient difficile à soutenir tant que l’on n’est pas sorti de ce système malsain.La situation semble sans issue car s’attaquer aux extrémismes de son propre camp est suicidaire et s’attaquer aux extrémismes d’ailleurs, c’est faire la guerre. La seule solution pour sortir de cette impasse est d’éradiquer la maladie. Malheureusement, ceux qui en sont trop profondément atteints ne le souhaiteront pas. Dévoreur de libertés, ce système emprisonne la pensée. Il y aura toujours des gens qui préféreront un cadre de pensée simpliste car il libère du poids des responsabilités.Une éducation qui baigne dans la binariose entretient un désaccord avec la réalité. Elle provoque probablement des conflits intérieurs propres à entraîner des névroses. Il se pourrait bien que les troubles de l’intelligence soient directement liés à la profondeur avec laquelle la pensée binaire a été intégrée. Parions qu’une éducation qui ne céderait pas à l’emprise de ce modèle inadéquat ouvrirait les esprits plutôt que de les aliéner.Beaucoup de gens ont « l’intelligence du cœur » et militent pour la tolérance et la paix. Ils ressentent la violence contenue dans les termes de bien et de mal et les remplacent alors par valeurs positives et valeurs négatives en croyant s’affranchir de leur radicalisme. Si l’on vient leur expliquer qu’en changeant seulement les mots, il ne se débarrassent nullement de l’ancien système mais le conservent avec son lot de conséquences néfastes, ils vous répondent qu’ils veulent seulement remplacer les fausses valeurs par le vraies. C’est dire combien la binariose est profondément ancrée.Il y a donc vraiment lieu de penser que toutes les proclamations de paix, de justice et de tolérance resteront vaines tant que l’on n’aura pas éradiqué la doctrine binaire dans laquelle nous sommes tous embourbés.Au fils du temps, les connaissances s’accroissent. En conservant les croyances traditionnelles, nous introduisons forcément des contradictions. Sur cette base instable, même si nous construisons correctement nos raisonnements, nous tombons sur des conclusions qui ont très peu de chances d’être valables et nos objectifs ne peuvent être garantis. Il faut don à tout prix nous débarrasser des préjugés et des idées toutes faites qui peuplent les endoctrinements.Il y aura toujours des « experts » qui prétendront détenir la « formule scientifique », car le terme formule magique ne fait plus recette. Alors, comment savoir qu’une affirmation est (plus ou moins) fondée tandis qu’une autre ne l’est (certainement) pas ? Il faut être armé pour pouvoir faire face à la montagne de déclarations incongrues qui encombrent toutes les disciplines, à l’exception de celles qui, comme les sciences exactes, avancent à grands renforts de coups de balai donnés impitoyablement dans la masse des idées dépassées, sans respect aucun pour la tradition.Le succès des théories fausses est saisissant. Que faire pour acquérir un peu de discernement ? Proposons quelques suggestions.1. Pour toute affirmation lue ou entendue, le mieux serait de se demander comment les connaissances proclamées ont pu être acquises. Pour cela, il faut être averti des fautes méthodologiques couramment commises.2. La subjectivité est redoutable, car de nombreuses personnes sont victimes de leurs illusions et voient ce qu’elles croient.3. Un léger bagage de connaissances scientifiques serait souhaitable afin d’éviter de rejeter les acquis valables en même temps que tout le reste.4. Il es urgent de ne pas propager la binariose dans l’éducation et de s’en libérer définitivement avec son cortège de manifestations imbéciles, comme le sexisme, le racisme, la partialité, l’égocentrisme et le pragmatisme.Débarrassés d’une vision déformante de la réalité, nous cesserons peut-être de tomber régulièrement à côté des buts visés. L’angoisse face à un avenir qui nous échappe devrait nous encourager à faire l’effort de sortir du piège de la pensée binaire, source de querelles sans fin à tous les niveaux hiérarchiques des sociétés humaines. 
 

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Modifié en dernier lieu le 13.04.2006
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