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Problèmes littéraires

Sciences, techniques, pouvoirs, fictions : discours et représentations, XIXème-XXIème siècles 
Appel à contribution  
Date limite : 30 juin 2006 
Information publiée le mardi 18 avril 2006 par Camille Esmein (source : Lise Dumasy) 
Sciences, techniques, pouvoirs, fictions : discours et représentations, XIXème-XXIème siècles 
 
"Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit ; mais SAVOIR laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme" 
 
Balzac, la Peau de chagrin 
 
 
L'époque contemporaine – dont les grands cadres économiques, sociaux, politiques, mais 
aussi épistémologiques, se sont mis en place tout au long du XIXèmesiècle, de ses révolutions et de ses réactions – l'époque contemporaine, donc, est marquée, on le sait, par un extraordinaire développement des sciences et des techniques. Ce développement a été permis par l'irrésistible dynamique de la rationalité scientifique, qui, en lutte contre l'appréhension religieuse du monde depuis la Renaissance, postule que l'homme peut maîtriser la nature et son propre destin. 
Les rapports de l'homme avec la nature et avec l'histoire, les représentations qu'il se fait de lui-même, de l'univers et de la société (dont l'anthropologie a bien montré à quel point elles étaient liées entre elles) se posent donc en des termes différents selon que la rationalité scientifique ou que la pensée religieuse les appréhende. La lente et progressive domination de la première au cours de l'âge moderne ne va pas néanmoins sans de fortes résistances de la seconde, jusqu'au coeur même des sociétés contemporaines. 
Domination comme résistances s'expriment, au sein de la société, dans l'entrecroisement des discours qui tissent la capacité à vivre ensemble, et à se rassembler autour d'un certain nombre de croyances, de désirs, de répulsions, d'actions, d'expressions, que l'on appellera la culture. Dès lors qu'elle s'exerce au sein de la société, la pensée scientifique, comme d'ailleurs la pensée religieuse, nourrissent des constructions idéologiques et imaginaires dont le but est d'assurer leur pouvoir, économique, social, politique, par le biais d'argumentations implicites et explicites, et, plus encore, de représentations, qui en "naturalisent" en quelque sorte les énoncés (c'est là le rôle de toute idéologie). Sciences et techniques sont d'ailleurs prises d'emblée dans les jeux du pouvoir, de même que dans ceux du langage, dès lors qu'elles participent à – et de – la construction d'une culture partagée. 
Les représentations qui circulent dans l'espace social contemporain, démocratique, libéral et capitaliste, représentations de la science, des sciences et des techniques, et de leur effet (réel, possible, souhaitable, redoutable) sur l'homme, la nature et la société, sont médiatisées par ces constructions idéologiques, qui sont des constructions de discours. On les retrouve dans l'ensemble des discours qui forment la trame quotidienne des échanges sociaux. Mais la littérature – que l'on prendra ici dans son sens le plus large : poésie, fiction romanesque et théâtrale, mais aussi littérature d'idées, politique, scientifique et philosophique – la littérature est un extraordinaire résonateur et amplificateur, en même temps que vecteur, de ces diverses représentations, parfois conflictuelles, car prises dans des idéologies et dans des enjeux qui s'opposent. Et ceci quel que soit le medium qui porte ces représentations (livre, journal, BD, media de l'image et du son). Elle participe à ces constructions idéologiques, elle les figure, elle les met en discours, éventuellement elle les critique ; elle les incarne à la fois et les met à distance. 
L'étude de ces constructions idéologiques et de ces figurations imaginaires aux XIXème et XXème siècles est l'objet général de ce projet. Le projet couvrira les XIXème et XXème siècles. Une attention particulière sera portée à l'articulation entre XVIIIèmeet XIXème siècle, entre le projet des Lumières et celui de la modernité naissante, et à l'articulation du XIXème et du XXème siècle, où se met en place le positivisme scientiste qui domine encore largement le XXème siècle ; toutefois ce sont bien les évolutions du rapport entre littérature et science sur l'ensemble de la période considérée qui à terme seront prises en compte, et cela selon trois approches conceptuelles combinées : 
- interactions entre l'écriture littéraire et la construction des savoirs scientifiques entre Lumières et Romantisme. 
- Incidences de la pensée scientifique sur les formes et les pratiques littéraires et poétiques et sur les modes de la représentation (perception et conception du temps, de l'espace et de la matière). 
- Le discours littéraire sur la science et les figurations symboliques de la science dans la littérature. 
Cette recherche se déclinera en cinq actions, que nous donnons ci-dessous dans leur ordre chronologique prévisionnel 
Action 1 : médecine, sciences de la vie et littérature 
De la Révolution française jusqu'à nos jours, en étroite liaison avec le "désenchantement du monde" (Max Weber) et avec le développement de l'idéologie matérialiste, la figure du médecin, ce maître des secrets de la vie, ce déchiffreur des énigmes du corps, s'impose comme une des plus fascinantes, voire la plus fascinante dans l'imaginaire collectif. En témoignent abondamment une bonne partie du corpus théâtral et romanesque des deux siècles, de Balzac à Céline, de Dumas à Martin Winckler, de Vigny à Reverzy, mais également bien des textes théoriques ou politiques. Une même fascination se remarque face aux développements et aux mutations des sciences de la vie. 
Parallèlement, la médecine s'impose comme un modèle privilégié de l'activité herméneutique et curative, que ce soit dans le domaine individuel ou social. La scientificité grandissante de ses procédures, en même temps que l'ambiguïté de son statut – science, mais aussi science de l'homme - en fait par ailleurs une référence pour une littérature qui aspire à l'autorité que la science est en train de lui dérober (cf l'accueil fait par Zola à l'Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard, ou, aux débuts du siècle, le modèle que Balzac prend sur les sciences naturelles). Science humaine, la médecine restera, dans un XXème siècle où la littérature prendra ses modèles et ses références du côté des sciences humaines, encore un des modèles dominants pour la littérature. L'exploration médicale devient le paradigme de l'investigation scientifique du réel et de l'homme. Symboliques sont, aux deux bouts du siècle, les figures de Cabanis, l'Idéologue, et de Claude Bernard, le positiviste, dont les deux textes, respectivement Rapports du physique et du moral de l'homme (1802), et Introduction à la médecine expérimentale (1865) ont été pour ainsi dire paradigmatiques pour la littérature de leur temps, tandis que leurs figures, fictionnalisées, voire mythifiées, se retrouvent dans l'élaboration de maints personnages romanesques. La médecine est centrale dans cette problématique des rapports entre science, pouvoir et littérature dans la modernité. 
Les médecins, dès le XIXème siècle, sont non seulement des hommes de science, mais aussi, souvent, des hommes de pensée, et, parfois, de pouvoir. Tels ont été, par exemple, en-dehors de Cabanis et de Claude Bernard, déjà cités, Marat, Buchez, disciple de Robespierre, l'un des fondateurs du saint-simonisme, historien de la Révolution par ailleurs, Emile Littré, auteur du célèbre dictionnaire et disciple de Comte, dont il a diffusé la pensée, et bien d'autres encore. 
Une autre lignée, de Pinel à Charcot et au-delà – aliénistes, psychiatres et psychanalystes – du magnétisme à l'hypnose et à la psychanalyse, concrétise l'évolution, voire la révolution dans la conception de l'individu et de ses rapports à la société, à la norme, à l'humain, au langage, dans des images renouvelées du fou et de la folie, et de la constitution de la psychè humaine ; l'hésitation sur les limites de ce qui constitue la norme est révélatrice des tensions de notre société, et nourrit une fascination toujours renouvelée pour ces territoires de l'imaginaire. Plus radicalement encore, la construction et le langage littéraires et poétiques sont affectés en profondeur, dès les débuts du XXème siècle, par les bouleversements induits par la psychiatrie et la psychanalyse dans les conceptions anthropologiques. 
Le rapport médecin/patient comme figure du rapport auteur/lecteur, voire écrivain/corps social est également à étudier, pendant toute la période considérée. L'impact des différents développements de la médecine (psychanalyse, recherche génétique) sur les représentations non seulement de la médecine dans la littérature, mais encore sur celles que la littérature se fait d'elle-même est considérable, et la fascination pour la médecine et ses pouvoirs perdure jusqu'à nos jours dans la littérature, en particulier dans la littérature de grande diffusion (le roman de médecine est quasiment un sous-genre du roman sentimental comme du roman policier , et l'on trouve des fictions équivalentes quel que soit le support – BD, films, feuilletons télé ). 
Cinq directions pourraient donc explorées : 
- médecine, matérialisme, spiritualisme, littérature : transformations de l'épistémè sous l'influence des savoirs et imaginaires médicaux. 
- médecine et herméneutique. 
- de la mélancolie à l'hystérie : la relation médecin-patient, auteur-lecteur. 
- le médecin du corps social et politique ; textes de la littérature d'idées, mais aussi roman policier et social. 
- médecine, corps et langage. 
Un séminaire mensuel, de septembre 2006 à mai 2007 et un colloque interdisciplinaire et international en novembre 2007 seront consacrés à ces questions. Nous les souhaitons largement ouverts à des approches pluridisciplinaires. 
 
Action 2 : Les Idéologues entre Lumières et Romantisme 
Au tournant du XVIIIème et du XIXème siècle, ce groupe d'écrivains (philosophes, historiens, médecins), également hommes politiques, joue un rôle capital, à la fois de "passeur" d'un siècle à l'autre, et de matrice commune pour des penseurs très divers du XIXème siècle. 
Héritiers du rationalisme et du sensualisme de la philosophie des Lumières, acteurs de la Révolution, ils auront une influence capitale sur la pensée romantique : Stendhal, Balzac, Dumas, Michelet, et bien d'autres leur sont redevables. On cherchera donc à examiner comment se fait, par eux approprié, et par eux transmis, l'héritage des Lumières chez les Romantiques. 
Les Idéologues sont aussi parmi les premiers, au XIXème siècle, à réfléchir sur un modèle scientifique d'organisation de la société et du pouvoir politique. Ils ont, sur ce point, influencé les saint-simoniens et la philosophie comtienne, à partir de laquelle se développera le positivisme dominant de la seconde moitié du siècle. Mais leur pensée féconde aussi, par certains aspects, et au prix de certaines impasses, la pensée libérale (Staël, Constant, Tocqueville, Guizot…). Il pourra être intéressant de confronter ces deux héritages, leurs distorsions, convergences et divergences, et de se demander comment convergent en eux et divergent hors d'eux (mais aussi, peut-être, à partir d'appropriations divergentes) des pensées aussi différentes que celle des romantiques, des libéraux et de philosophes comme Saint-Simon ou Comte. 
Enfin les Idéologues ont accordé une grande importance à la réforme de l'éducation (préconisant en particulier l'introduction des sciences, et la différenciation de l'enseignement selon la carrière (pratique ou théorique) visée. Ils ont un rôle capital dans l'évolution des systèmes éducatifs. 
Un colloque international sera organisé en novembre 2008. 
 
Action 3 : Positivisme, scientisme et darwinisme dans la littérature et les sciences humaines au tournant du siècle : triomphe et contestations 
C'est à la charnière, cette fois-ci du XIXème et du XXème siècle, qu'on étudiera l'aboutissement d'un mode de la pensée dont les racines sont à chercher, on l'a vu, dans les tout débuts du siècle (mais se modifient profondément, bien sûr, au cours du siècle, sous les effets conjugués des logiques internes des développements scientifiques et des déterminismes liés à une histoire et à une société elles aussi en évolution). L'enquête pourra être menée autour des questions de la méthode, des formes et des valeurs. Elle tentera de montrer comment le débat d'idées autour d'un positivisme dominant, mais aussi contesté d'un côté par le matérialisme, de l'autre par le spiritualisme, détermine les évolutions des sciences humaines et alimente leurs conflits internes ; comment aussi la littérature en est marquée dans ses évolutions, comment elle s'en empare, le met à la fois en représentation et en question, en l'adaptant à ses propres exigences et problématiques, soit qu'elle adopte le positivisme dominant, soit qu'elle le conteste, en s'appuyant sur d'autres philosophies, ou les deux à la fois; comment, enfin, ce débat scientifique est aussi un débat politique. 
Un séminaire de recherche sera organisé de septembre 2008 à mai 2009. 
 
Action 4 : Science, technique et pouvoir dans la science-fiction de 1870 à nos jours 
Il s'agira de réexaminer, dans le cadre problématique précédemment dressé, les formes naissantes de la science-fiction (dans laquelle on comptera les romans préhistoriques) et de l'anticipation, et leurs évolutions ultérieures (pour le XXème siècle, les films et les oeuvres en traduction devront sans doute être envisagés). Trois axes pourraient être privilégiés : 
- science-fiction et fantaisie (fantastique, merveilleux et science-fiction). 
- science-fiction et politique (utopies et dystopies). 
- science-fiction et technique (l'anticipation technologique et la pensée magique). 
Une attention particulière pourrait être portée aux questions suivantes : la science-fiction fait-elle partie de la culture scientifique? De quelle(s) idéologie(s) est porteuse la science-fiction? Quel rapport en particulier, à la fin du siècle, avec les idéologies colonialistes et racistes qui se déploient à cette époque? Quel rapport entre la naissance de la science-fiction, et les modifications dans l'imaginaire de la temporalité? Pourquoi y a-t-il déclin et stagnation de la science-fiction française entre 1914 et 1950? Cette liste n'est évidemment pas limitative. 
L'association avec l'ILCEA (Université Stendhal) permettra d'étendre la recherche à la nouvelle science-fiction argentine (y compris les romans préhistoriques) et à la paralittérature espagnole (fictions liées aux nouvelles angoisses technologiques, science-fiction). Il pourra également être envisagée une coopération avec le CEMRA(Université Stendhal) pour la science-fiction de langue anglaise. 
Un colloque international sera organisé en novembre 2009. 
 
Action 5 : Des humanités aux études scientifiques : les mutations de la formation scolaire et universitaire de l'aube du XIXème siècle à l'aube du XXIème siècle 
Pour compléter l'ensemble de ce programme de travail, il nous semblerait très utile de mener l'enquête sur l'évolution, par rapport à l'équilibre lettres/sciences, des conceptions et des pratiques éducatives institutionnelles – dans le rapport dialectique qu'elles entretiennent avec les idéologies dont elles sont tributaires, mais qu'elles contribuent aussi à construire, voire à modifier. Une coopération d'historiens et de sociologues avec des littéraires travaillant sur les représentations pourrait éclairer utilement ces questions. 
Cet axe de travail pourrait être développé avec les didacticiens de notre équipe, qui intègre des collègues de l'IUFM, mais également avec des chercheurs de l'INRP (Lyon), et avec des historiens et sociologues spécialistes de l'éducation. 
Un séminaire interdisciplinaire sera organisé, de novembre 2009 à mai 2010. 
En sus des actions ci-dessus indiquées, la réflexion sur ces questions reste ouverte au sein de notre groupe de recherche, et d'autres actions pourront venir s'inscrire dans les prochaines années, par exemple sur les échanges terminologiques par lesquels la science "informe" la littérature et, en retour, intègre des métaphores littéraires dans la formulation de ses propres concepts ; - les effets des contraintes, combinatoires et autres modèles mathématiques sur la production littéraire ; - l'influence du deuxième principe de la thermodynamique sur l'imaginaire littéraire entre 1870 et 1910 ; - la notion de « poésie scientifique » telle qu'elle a été pratiquée et théorisée (contre le symbolisme, mais aussi en la différenciant de la poésie didactique) par René Ghil de 1900 à 1920 ; - l'impact des mutations technologiques et médiologiques du XXe Siècle (en fait, depuis l'invention de la photographie, du phonographe et du cinématographe, jusqu'à l'actuelle révolution numérique) sur les pratiques narratives et poétiques qui ont osé se les approprier ; etc 

Porteurs du projet : l'équipe Traverses 19-21 (EA 3748, université Stendhal-Grenoble 3), équipe de recherche sur l'histoire, la théorie et la didactique de la littérature et des arts du spectacle, dir. Ch. Massol. Coordination du projet : Lise Dumasy. Pour tout contact, s'adresser à lise.dumasy@u-grenoble3.fr 
 
 
 
 
Responsable : Lise Dumasy 
 
 
Adresse : 
Université Stendhal- Grenoble 3 Domaine universitaire BP 25 38040 Grenoble cedex 9. 
 
 
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