L'herbe du diable et la petite fumée
Titre : L’herbe du diable et la petite fumée
Auteur : Carlos Castaneda
Traduit de l’anglais par Michel Doury
Titre original : The teachings of Don Juan (A yaqui Way of Knowledge)
Editions 10/18 (Christian Bourgeois) – 1985
ISBN: 2264007257
Le lecteur qui a pu, comme moi, lire ce livre il y a presque 40 ans, et qui le relit aujourd’hui est un privilégié.
En 1968 la jeunesse estudiantine occidentale naviguait à vue sur les vagues du structuralisme, de l’ethnologie et de l’anthropologie revues par Levi-Strauss, et dérivait sur l’expérience obligée du trip hallucinatoire.
Ce livre était bible chamanique pour nombre d’entre nous, et missel satanique pour le bien-pensant d’alors.
Qu’il se vende et se lise encore aujourd’hui peut paraître étonnant, car il n’est plus contextuel du contemporain, où l’aspiration à une initiation spirituelle longue, douloureuse, difficile, mue par l’inébranlable effort de parvenir à la connaissance, quelle qu’elle soit, semble relever de l’utopie.
Et pourtant cet ouvrage est toujours à lire.
Dès sa parution, une double lecture en était déjà proposée : L’herbe du diable et la petite fumée pouvait se parcourir comme un cheminement initiatique minutieusement détaillé, fondé sur l’observation précise d’une étude ethnologique (inversée, puisque l’ethnologue, indianisé par son guide chamane, devient son propre objet d’étude), ou comme le conte allégorique de la relation équivoque entre le maître, Juan, appelé respectueusement Don Juan, représentant une société dite primitive, persécutée jusqu’au génocide par celle, conquérante, impérialiste, et méprisant « les croyances des sauvages », personnifiée par le disciple Castaneda. Beau renversement des clichés de l’Histoire…
Donc cet ouvrage est toujours à lire, pour ses éléments ethnographiques (malgré le caractère parfois fastidieux de la description des préparatifs de chaque nouveau voyage, et le chapitre devenu ennuyeux de l’analyse structurale), et pour l’allégorie qu’on peut toujours y construire.
Mais aujourd’hui il se lit aussi, débarrassé du contexte de la « quête de Katmandou » et des philosophies hippies, comme un conte fantastique, ou comme un montage ésotérique (Castaneda récusait cet adjectif), ou encore comme une amusante fum…isterie.
Mais enfin, que diable, cet ouvrage se lit, tout simplement, avec le plaisir de l’exotisme qu’évoquent ces mots fumeux et sulfureux: la Yerba del diablo, l’Humito, la Datura inoxia, le Mescalito, la Psillocybe mexicana, la Lophophora williamsii.
Allons, Castaneda peut se fumer encore…
Patryck Froissart, le 9 avril 2006