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Les chroniques de Froissart 
 
 
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Le latin en 2006

Etudes des langues  
 
Retour aux humanités  
Contrairement à Maurice, où le latin a disparu du programme d'études secondaires depuis environ 30 ans, en France, où il a connu une forte baisse au début des années 80, il a non seulement été maintenu, mais les responsables au ministère de l'Education nationale se sont attelés, il y a quelques années, à revaloriser cette langue par le biais d'une réforme. Pourquoi ce retour au latin ? Pour le savoir, Le Mauricien a interrogé Patryck Froissart, chef d'établissement au Collège Pierre Poivre, à St-Pierre, et Valérie Duboclard, enseignante de cette matière au Lycée des Mascareignes où les élèves du Collège Pierre Poivre entreprennent leurs trois dernières années de scolarité secondaire. Tous deux humanistes convaincus, nos interlocuteurs apportent entre autres quelques démentis à certaines idées reçues sur la question. Car le latin, considérée à tort comme lettre morte, possède non seulement des vertus pédagogiques largement sous-estimées, mais confère également à l'élève un précieux acquis en termes de regard sur l'Homme et sur la vie.  
" La volonté politique, assez récente, qui se manifeste depuis quelques années est d'essayer d'inciter à un retour en force du latin et du grec - des "humanités", comme on dit ", commence Patryck Froissart. Ce qui a motivé ce retour ? " Le constat, par l'Inspection Générale de l'Education Nationale, et probablement à la suite de pressions exercées par des groupes de latinistes et/ou des associations de parents d'élèves, d'un cursus éducatif reposant par trop sur des critères utilitaires, aura incité à y remettre une certaine "humanité" - à tous les sens du terme. C'est délibérément que je joue sur le mot "humanité", car je suis convaincu que, outre son côté utile en termes d'apprentissage des langues et de connaissance de la culture latine, le latin confère à l'élève une formation intellectuelle qui fera la différence entre ceux qui l'ont étudié et ceux qui ne l'ont pas étudié. "  
Esprit d'analyse  
L'on peut ainsi reconnaître le latiniste, selon Valérie Duboclard, à " certaines attitudes, et notamment celle qui consiste à prendre à bras le corps le travail, ou encore à aborder un problème posé sous plusieurs angles au lieu d'un seul. " De même, poursuit Patryck Froissart, n'est pas négligeable le fait que, de par les contraintes que pose l'étude de cette langue, et notamment la syntaxe, " un latiniste développera des capacités intéressantes en matière d'apprentissage du français, et aussi, les langues romanes comme celles à déclinaisons ". Et, surenchérit Mme Doboclard : " Ajoutons également à cela, celles ayant un schéma de fonctionnement particulier, telles que le russe, alors que le latin contribue, par ailleurs, au développement de l'aptitude à l'esprit d'analyse et de synthèse. " Il en ressort donc, selon nos interlocuteurs, que contrairement à l'idée reçue selon laquelle le latin serait abordable, en premier lieu, par les élèves doués de certaines aptitudes particulières liées à l'étude des langues, elle serait, à l'inverse, génératrice de ces aptitudes, dont celles citées plus haut. Au Lycée des Mascareignes, " l'on peut d'ailleurs constater que sur les six latinistes inscrits au Bac cette année, cinq font partie de la section scientifique ", fait observer l'enseignante de latin.  
Après quelques modifications et autres tâtonnements de la part de l'Inspection Générale, durant les années 70 et 80, quant au niveau auquel il convenait d'introduire cette matière, l'initiation de celle-ci est aujourd'hui proposée aux élèves de 5e (Form II), en option facultative. Cependant, l'intitulé de la discipline dans cette classe est, en fait, "Initiation à la langue et à la culture latines", l'apprentissage proprement dit commençant, lui, en 4e. Si l'étude du latin signifie pour l'élève trois heures de cours hebdomadaires supplémentaires, cette matière peut en revanche représenter, au Baccalauréat, un plus non négligeable puisque affecté du coefficient 3 - alors que si l'élève n'obtient pas la moyenne, ses points ne sont pas comptabilisés dans les résultats. Ce dernier a donc beaucoup à y gagner, tout en n'ayant rien à y perdre.  
Combien sont-ils à s'investir dans ce supplément de travail et de difficulté ? Le pourcentage ne suit, sur une période donnée, ni progression ni régression régulière, et peut varier d'une année à l'autre, alors qu'il va décroissant à mesure de la "montée" des classes, de la 5e à la terminale. Le chiffre de six élèves, en classe terminale, pour 2005-2006, n'est pas coutumier au Lycée des Mascareignes, cette année étant en effet une année de vaches maigres, précise Mme Duboclard. Au chapitre des chiffres, l'on peut citer quelques autres, qui donneront au lecteur un ordre de grandeur : aujourd'hui, en 5e, le collège compte en latin 47 élèves sur 108, ce qui équivaut pratiquement à la moitié de la promotion ; alors que le lycée en compte 20 en 2nde (FV) et 11 en 1ère (VI Lower).  
Le but de la réforme éducative française étant de confronter très tôt l'élève au texte, l'on commence, dès la 4e, avec des formes courtes, telles que les fables, qui seront encore au programme en 2nde, où l'on étudiera également, entre autres, de la poésie, ou encore des pièces de théâtre, alors qu'au baccalauréat sont notamment au programme les philosophes épicuriens et stoïciens Lucrèce et Sénèque, ainsi que les historiens Tite-Live, Tacite. En ce qui concerne l'oralité, voire la musicalité de la langue, si selon M. Froissart, " l'on ne peut plus oraliser une langue qui, par définition, est morte ", il est possible, nous dit Mme Duboclard, " d'en retrouver certaines tonalités par le biais de la poésie, dont les règles sont très strictes ". S'agissant de la loi naturelle selon laquelle les langues mortes ne ressuscitent pas, " l'on a quand même un contre-exemple avec l'hébreu qui n'était plus parlé depuis des siècles et qui, depuis quelque 50 ans, est redevenu langue vivante en Israël ", rappelle le directeur du Collège Pierre Poivre.  
Cohésion  
Outre l'apprentissage de la langue, l'étude du latin présente l'avantage de confronter l'élève à la culture et à la pensée latine. Le programme de la terminale est en effet centré autour des thèmes de l'histoire, de la réflexion autour de la mort, de la grandeur et la décadence de Rome, et de la poésie. " Quand on pense à tout ce qu'a véhiculé cette civilisation latine pendant cinq ou six siècles, confie M. Froissart, et que toute cette philosophie, toutes ces valeurs sont à la base de notre système de pensée, il est d'une importance capitale - et je parle également du grec, avec encore plus de nostalgie - que nos jeunes y soient confrontés. " Et d'ajouter : " Grandeur et décadence d'une civilisation... est-ce que nous ne devrions pas également nous poser cette question à propos de la nôtre ?... Parmi les matières de sciences humaines étudiées au Bac, qui forment un ensemble cohérent, je pense que quand le latin est absent, il manque quelque chose à cette cohésion. " 
Article paru dans Le Mauricien du 7 mars 2006 
 

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Modifié en dernier lieu le 8.03.2006
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